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Conférence de presse annuelle du juge en chef du Canada


Mot d’ouverture du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada

Bonjour tout le monde. Je vous remercie de vous joindre à moi aujourd’hui à l’occasion de ma troisième conférence de presse annuelle. Lorsque je suis devenu juge en chef il y a deux ans et demi, je me suis engagé à tenir cet événement annuel afin de faire le point avec vous sur les travaux de la Cour et de répondre à vos questions. Et je suis certes heureux d’être en mesure de le faire, alors même que nous sommes aux prises avec cette pandémie mondiale.

Les circonstances ont bien changé depuis notre rencontre de l’an dernier. La pandémie a profondément modifié notre société, ainsi que la façon dont nous interagissons les uns avec les autres. Certains de ces changements pourraient être permanents. La pandémie a forcé les tribunaux à trouver de nouveaux modes de fonctionnement, et à accélérer un processus de modernisation qui s’imposait depuis longtemps. Ainsi, ils traitent de façon prioritaire les affaires les plus urgentes et ont recours à des moyens électroniques d’audition à distance pour instruire les causes et continuer à rendre justice. Mais bien que toutes et tous mettent la main à la pâte, que les juges et le personnel des tribunaux travaillent d’arrache-pied partout au Canada, les conséquences de cette crise se feront sentir pendant longtemps.

À l’instar de nombreux autres tribunaux, la Cour suprême a mis en place plusieurs changements d’ordre pratique. Par exemple, la semaine dernière nous avons entendu des affaires par vidéoconférence. Bien qu’il soit possible depuis 35 ans pour les procureurs de comparaître devant la Cour par vidéoconférence, c’était la première fois que l’ensemble des participants, y compris les juges, le faisaient en ligne. Nous avons même permis à des membres du public de s’inscrire à titre d’« observateurs virtuels », même si les gens pouvaient — comme ils peuvent toujours le faire — simplement visionner l’audience en direct sur notre site Web. Tout cela a certes demandé beaucoup d’adaptation de la part de toutes et tous, mais cette adaptation a été grandement facilitée grâce au travail acharné des membres de notre personnel et à la collaboration des parties et des procureurs à travers le pays. Du point de vue des juges, l’audition des plaidoiries et l’interaction avec les procureurs se sont déroulées de façon presque aussi naturelle que si le tout avait eu lieu en salle d’audience. Et, mis à part quelques pépins auxquels on peut toujours s’attendre lors d’une première expérience concrète, je crois que ces audiences ont été un franc succès.

Néanmoins, il faut reconnaître que nous sommes privilégiés. En effet, aussi complexe que puisse être tout ce processus, il reste que la Cour suprême est une cour d’appel – la plus haute juridiction d’appel du pays. Nous entendons donc moins d’affaires que les autres tribunaux, et nous n’entendons pas de témoins. Nous avons accès à des moyens technologiques et à de l’expertise auxquels d’autres tribunaux n’ont peut-être pas accès parce qu’ils disposent de ressources plus limitées. Nous devons veiller à ce que tous les tribunaux puissent continuer de rendre justice pour les Canadiennes et les Canadiens, rôle qui nous incombe en tant que membres de la magistrature.

De concert avec le ministre de la Justice, l’honorable David Lametti, j’ai mis sur pied un comité d’action composé d’experts du système de justice, ainsi que des domaines de la santé publique et de la sécurité en milieu de travail. Il s’agit d’un comité d’« action » au sens concret de ce terme. Dans l’immédiat, les membres du Comité d’action, qui compte trois autres juges en chef en plus de moi, avons cerné comme objectifs les défis que posent les procès devant jury, la tenue d’audience dans de petites salles, les cours de circuit et les tribunaux en région éloignée. Nous examinons également les effets à plus long terme de la pandémie sur notre système de justice et les façons d’y répondre. Et nous profitons de l’occasion pour amorcer une conversation sur des enjeux de longue date à l’égard desquels nous pourrions apporter des améliorations pour l’avenir.

Notre système de justice n’était pas prêt à affronter une urgence pandémique et, en conséquence, bon nombre de services et d’activités ont cessé immédiatement. Les palais de justice ont fermé leurs portes. Les procès ont été reportés. Le ministre de la Justice et moi savions que le système devait continuer de fonctionner, mais que cela devait se faire de façon sécuritaire, en protégeant la santé et la sécurité de l’ensemble des participants. J’ai exercé comme avocat pendant 25 ans, en plus de présider comme juge de nombreux procès, y compris des procès avec jury. Lors de la conférence de presse de l’an dernier, j’ai affirmé que le temps était venu de prendre des « actions concrètes en faveur de la justice ». En tant que juge en chef, il y n’a pas énormément de choses que je puisse faire directement – mais je peux néanmoins, en me fondant sur mon expérience, proposer aux parties prenantes des solutions pratiques et pragmatiques, et en discuter avec elles. Nous devons à tout le moins nous assurer que le problème des délais, qui était particulièrement chronique auparavant, n’empire pas davantage. Soyons clairs : Ne rien faire serait irresponsable.

Nous faisons face à des enjeux complexes, pour lesquels il n’existe pas de solutions simples. Toutefois, nous pouvons compter sur certains des plus grands experts du pays qui s’affairent actuellement à chercher des solutions à ces problèmes, non seulement par l’entremise de notre Comité d’action, mais également de la Société des plaideurs, de l’Association du Barreau canadien et d’autres organisations. Contribuer à la recherche de solutions est la responsabilité de toutes les parties prenantes. Je suis convaincu que les changements que nous apporterons à notre système de justice le rendront encore plus résilient et efficient au cours des années à venir.

J’ai déjà dit que les juges n’habitent pas des tours d’ivoire, et que nous faisons partie intégrante de la société dans laquelle nous vivons. Nous ne saurions accomplir notre travail sans être très attentifs à ce qui se passe dans le monde qui nous entoure. Cependant, en tant que juges, nous devons demeurer indépendants et impartiaux. Nous nous exprimons principalement par les jugements que nous rendons.

Au cours des dernières semaines, nous avons toutes et tous été témoins de scènes montrant des gens partout dans le monde qui dénoncent la discrimination raciale et la violence raciale. Il est bon et nécessaire de lutter contre l’injustice, quel que soit l’endroit où elle se manifeste ou la forme qu’elle prend.

Au Canada, l’article 15 de la Charte garantit à toute personne le droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment la discrimination fondée sur la race. Malheureusement, comme l’a fait remarquer la Cour suprême, cette garantie n’a pas toujours été respectée.

Il y a à peine un an, dans l’arrêt Le, la Cour a fait état de très nombreux travaux de recherche démontrant les effets pernicieux qu’a le profilage racial sur les communautés racialisées au Canada. Elle a souligné que les personnes appartenant à ces communautés sont l’objet d’un nombre disproportionné de contacts avec la police et le système de justice pénale, et qu’elles sont davantage susceptibles de subir des violations de leurs droits et de se faire blesser ou tuer à la suite d’interactions avec la police. Ces constations n’ont rien d’agréable, mais il s’agit de faits concrets.

Nous savons aussi que les collectivités autochtones sont depuis longtemps victimes de stéréotypes, de préjugés et de discrimination, comme l’a d’ailleurs bien documenté la Commission de vérité et réconciliation. La Cour suprême a pris acte de ce fait dans l’arrêt Barton. Dans cette affaire, en raison de l’usage de stéréotypes dégradants à l’égard d’une femme autochtone, un accusé a dû être jugé de nouveau. Dans l’arrêt Ewert, la Cour a expliqué à quel point la discrimination systémique dont sont victimes les détenus autochtones a des conséquences plus néfastes pour ceux-ci, par exemple le fait qu’ils sont moins susceptibles de bénéficier d’une mise en liberté anticipée.

Toutes ces affaires permettent de constater de quelles façons les préjugés raciaux et la discrimination raciale entraînent clairement des résultats injustes.

J’ai maintes fois répété que chaque Canadienne et Canadien doit être en mesure de se reconnaître dans le système de justice. Quelqu’un ne devrait jamais se sentir comme un « exclu » ou comme un « étranger » devant la justice. Les juges qui siègent au Canada de nos jours, et ce, quel que soit leur parcours personnel ou professionnel, ont profondément à cœur de rendre justice pour toutes et pour tous, et mettent tout en œuvre pour bien comprendre tous les aspects des questions juridiques qui leur sont soumises. Parmi ces aspects, mentionnons le contexte racial, les préjugés implicites et les enjeux systémiques. Des organismes tels le Conseil canadien de la magistrature et l’Institut national de la magistrature, que je suis très fier de présider, fournissent aux juges du pays des lignes directrices et de la formation. Il s’agit d’une priorité et, à cette fin, nous avons mis au point d’excellentes mesures — par exemple une grande variété de programmes et autres ressources. En outre, je crois que les gens sont de plus en plus conscients qu’il est nécessaire que nos tribunaux, y compris notre plus haute cour, reflète la diversité du peuple canadien. Je serais certes heureux de profiter des points de vue et éclairages nouveaux qu’une telle diversité pourrait apporter.

L’année dernière a été une année occupée pour la Cour. En juillet dernier, le ministre de la Justice et moi avons signé un accord visant à reconnaître et à renforcer l’indépendance de la Cour. Cet accord décrit la relation entre, d’une part, le juge en chef et, d’autre part, le ministre de la Justice et procureur général du Canada, en plus de favoriser la réalisation des objectifs importants que sont la clarté et l’ouverture.

Je tiens également à souligner qu’en décembre dernier, la Cour a rendu une importante décision en droit administratif. Reconnaissant que cet aspect du droit était ambigu et, dans certains cas, impossible à appliquer, mes collègues et moi avons décidé que le temps était venu de le revoir. À cette fin, nous avons choisi trois affaires qui portaient sur deux questions différentes et qui nous permettraient d’élaborer une nouvelle approche à cet égard. Notre nouveau cadre d’analyse, énoncé dans l’arrêt Vavilov, a modifié la manière dont les cours de justice contrôlent les décisions administratives, dans le but de rendre le droit plus clair et plus prévisible. Cela permettra d’accroître l’accès à la justice en aidant les gens à mieux comprendre comment les cours de justice examineront les décisions administratives qui les touchent.

Comme vous le savez sans doute, l’accès à la justice est une question qui me tient à cœur. C’est pourquoi j’ai décidé, avec l’appui de mes collègues, que la Cour suprême se déplacerait à Winnipeg l’automne dernier et que, pour la toute première fois de son histoire, elle entendrait des causes à l’extérieur d’Ottawa. Au total, nous nous sommes adressés à des milliers d’élèves du secondaire et à des centaines d’étudiants et étudiantes en droit. Nous avons également rencontré des membres de groupes autochtones, de la communauté francophone et du milieu juridique. Mes collègues et moi avons participé à une période de questions et réponses ainsi qu’à une rencontre informelle avec des membres du public au Musée canadien pour les droits de la personne. Nous espérons renouveler l’expérience dans une autre ville en 2022.

L’accès à la justice est la raison pour laquelle nous publions notre Rétrospective annuelle, qui peut être consultée sur le site Web de la Cour. C’est également pourquoi nous publions La cause en bref, de courts résumés qui sont rédigés dans un langage simple qui visent à expliquer comment et pourquoi nous sommes arrivés à telle ou telle décision.

Je considère d’ailleurs l’accès à la justice comme un fil conducteur entre, d’une part, les mesures d’adaptation prises par le système de justice pour répondre à la pandémie et, d’autre part, les efforts qui s’imposent pour moderniser le système de justice en profondeur. Nous traversons indubitablement des temps difficiles. Cependant, une période de crise peut souvent, et doit même, être l’occasion de véritables changements. J’espère que de tels changements surviendront, et que je pourrai vous en parler l’an prochain.

Mais pour l’instant, je vais répondre à vos questions.

Mot d’ouverture du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada
À l’occasion de la conférence de presse annuelle du juge en chef du Canada
Ottawa (Ontario)
Le 18 juin 2020

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Vidéo archivée de la conférence de presse

Date de modification : 2024-12-20