Conférence de presse annuelle avec la Tribune de la presse parlementaire
Allocution du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada
Bonjour à toutes et à tous. Merci beaucoup de vous joindre à moi aujourd’hui et de l’intérêt que vous portez à la Cour suprême du Canada.
Comme toujours, je suis ravi de profiter de cette occasion pour échanger avec vous et répondre à vos questions. Mon objectif demeure chaque fois le même, vous aider à fournir à vos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs des renseignements utiles, notamment d’ordre contextuel, susceptibles de favoriser leur accès à la justice ou de leur permettre de mieux comprendre notre système de justice.
Il y a maintenant plus d’un an que cette crise sanitaire dévastatrice nous a frappés. Une année complète au cours de laquelle nous avons lancé des projets-pilotes que nous n’avions pas planifiés et qui ont nécessité de nouvelles technologies, habiletés et priorités.
En effet, la pandémie s’est révélée être un puissant agent de changement. Elle a obligé les tribunaux à entrer dans le 21e siècle, avec un léger retard de 21 ans sur le calendrier prévu! Ces nouvelles approches ont mis à l’épreuve des suppositions bien ancrées, qui s’étaient jusque-là révélées être des obstacles à la modernisation et à la réforme. Par exemple, que l’adoption de nouvelles technologies serait trop coûteuse, trop peu sûre ou qu’elle porterait atteinte à la dignité et aux traditions des tribunaux. Se greffait toujours à cette façon de voir les choses l’idée que les changements résulteraient de choix délibérés. Mais la réalité nous les a imposés.
À bien des égards, l’année qui vient de s’écouler laisse une impression de flou, d’irréel – une impression que vous êtes sans doute toutes et tous à même de partager, j’en suis certain. Cependant, je suis heureux de vous annoncer que les travaux et activités de la Cour continuent de se dérouler sans heurts, la vaste majorité des employés travaillant à partir de chez eux. De plus, nous n’avons aucun arriéré. La troisième Rétrospective annuelle de la Cour résume très bien toutes les modifications qui ont été apportées par la Cour, ainsi que la manière dont elle s’y est prise pour tenir, en toute sécurité, des audiences en personne, des audiences hybrides et des audiences virtuelles.
La Cour suprême a décidé que les audiences virtuelles se poursuivront, si les parties veulent qu’il en soit ainsi. Globalement, l’expérience a été positive. J’imagine que certains clients seront heureux, à l’avenir, d’avoir la possibilité de réduire les coûts additionnels qu’entraînent les déplacements. Particulièrement en matière criminelle, où ces coûts sont supportés par le public.
J’imagine également que de nombreux avocats et avocates apprécieront le fait qu’ils passeront moins de temps à se déplacer pour venir à la Cour et en repartir. Si j’ai bien compris, les audiences par Zoom permettent à des avocats et avocates de travailler de façon plus efficiente et de servir un plus grand nombre de clients, parce qu’ils consacrent moins de temps à faire des allers-retours entre leur cabinet et les palais de justice.
Cela dit, toutefois, le Canada ne peut pas avoir un système de justice entièrement virtuel.
La pauvreté est un problème réel au Canada. Il en va de même en ce qui concerne l’absence de services Internet et téléphoniques fiables à certains endroits, surtout dans les communautés nordiques. J’ai entendu dire que des audiences virtuelles ont conduit à un manque de décorum et de respect dans la salle d’audience. La juge Mona Lynch de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a même raconté à un comité de la Chambre des communes une anecdote vécue par l’un de ses collègues. Elle a raconté que, pendant une audience virtuelle devant le tribunal de la famille, les participants ont pu entendre une des parties – qui venait tout juste de demander à la Cour de « patienter une minute » – se commander un « deux sucres, deux laits » à un Tim Hortons. Chaque affaire entendue par un tribunal est importante – à tout le moins pour l’une des parties. Bien que la décision à cet égard appartienne aux juges en dernier ressort, la plupart des témoignages doivent être entendus sur place, au palais de justice, où la solennité de la procédure en salle d’audience souligne véritablement le sérieux de l’affaire qui est instruite.
Ce sont là quelques-uns des nombreux enjeux et obstacles qui sont ressortis des travaux du comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la Covid-19. Ce groupe – que je copréside avec le ministre de la Justice, M. Lametti – a élaboré, avec l’aide de procureurs généraux et de responsables de la santé publique, des orientations nationales sur la manière de rendre la justice durant une pandémie.
Le comité a travaillé de manière concentrée et efficace. Ses travaux ont conduit à des propositions législatives susceptibles d’accroître l’efficience du système de justice criminelle. En voici quelques-unes :
- Permettre aux personnes accusées de comparaître par vidéoconférence aux enquêtes préliminaires et aux procès.
- Permettre la comparution par audioconférence lors des plaidoyers et des audiences de détermination de la peine lorsqu’il est impossible de le faire par vidéoconférence.
- Permettre un recours accru à la technologie pour le tirage au sort des noms de candidats-jurés.
- Réviser le processus pour aider les agents de la paix à demander à distance un plus grand éventail d’ordonnances d’enquête.
Je me réjouis du fait que, lors de notre dernière réunion, nous avons convenu de poursuivre ces travaux. Tous les membres de ce comité ont à cœur l’accès à la justice. Nous partageons bon nombre des mêmes objectifs et travaillons bien ensemble. C’est une bonne chose pour le système de justice canadien.
Dans l’ensemble du pays, les tribunaux s’engagent sur la voie du changement. De nombreuses juridictions permettent désormais aux parties de soumettre par courriel des affidavits non assermentés. Cela peut sembler anodin, mais de telles mesures constituent des signaux clairs que le système de justice est désormais ouvert à la modernisation.
Un autre élément dont j’aimerais vous faire part est le fait que, dans l’ensemble du Canada, il n’y a jamais eu autant de diversité au sein de nos tribunaux. Suivant les statistiques du Commissariat à lamagistrature fédérale, 45 % des juges de nomination fédérale sont maintenant des femmes. Il y a également une représentation accrue de juges qui sont des Autochtones, des personnes racialisées, et des personnes qui s’identifient comme ayant un handicap ou qui sont LGBTQ2. Lorsque la magistrature reflète la composition de la société, cela contribue à renforcer la confiance du public envers le système de justice. Mais la diversité bénéficie AUSSI aux juges, en qu’elle leur permet de profiter d’un plus large éventail de perspectives et de vécus dans leurs rangs.
J’aimerais également vous indiquer que j’accueille favorablement le projet de loi du gouvernement visant à réformer le processus de discipline judiciaire. Le Conseil canadien de la magistrature examine actuellement les mesures législatives proposées. Ma première impression générale est que ces réformes rendraient plus transparent et plus efficient le processus disciplinaire applicable à la magistrature.
De plus, après 23 ans, le Conseil canadien de la magistrature a également mis à jour ses Principes de déontologie judiciaire. La nouvelle version reflète l’étendue et l’évolution du travail des juges aujourd’hui, en raison par exemple de la croissance exponentielle du nombre de plaideurs non représentés, de l’existence des médias sociaux et du fait que l’on attend clairement des juges qu’ils possèdent un degré élevé de compétence culturelle.
Avant de répondre à vos questions en tant que juge en chef, j’imagine que certains d’entre vous ont des questions sur mon mandat en tant qu’administrateur du gouvernement du Canada. C’est une bonne occasion de vous informer, ainsi que les Canadiens et les Canadiennes, au sujet de mon obligation constitutionnelle d’assumer ce rôle et de ce que j’ai fait à ce titre au cours des cinq derniers mois.
Le gouvernement fédéral n’a pas demandé mon aide par hasard. C’est prévu par le droit. Lorsqu’un gouverneur général est frappé d’incapacité ou démissionne, les lettres patentes constituant cette charge précisent que le juge en chef de la Cour suprême assume le rôle d’administrateur du Canada.
Depuis le 23 janvier, j’ai donné la sanction royale à 12 projets de loi et signé 557 décrets. J’ai officiellement accueilli les nouveaux ambassadeurs et hauts-commissaires au Canada et signé des lettres de créance pour les chefs de mission du Canada. J’ai également eu le plaisir de présider les cérémonies virtuelles pour des distinctions honorifiques canadiennes telles que l’Ordre du Canada, les décorations pour service méritoire et les médailles du souverain pour les bénévoles.
Je suis très fier d’avoir eu l’occasion de remplir les fonctions de cette charge unique, même pendant les semaines très chargées où la Cour siégeait. C’était un honneur de servir le Canada à ce titre et de rencontrer des Canadiens et Canadiennes qui contribuent tellement à leur pays et au monde.
Prochainement, en septembre 2022, la Cour suprême entendra deux autres causes à l’extérieur d’Ottawa – dans la ville de Québec cette fois! Tout comme nous l’avons fait en 2019 lorsque nous nous sommes rendus à Winnipeg, les membres de la Cour auront également l’occasion d’échanger avec des gens dans la communauté. Ces occasions sont précieuses en ce qu’elles aident le public à comprendre le travail de la Cour suprême, ainsi que son rôle au sein d’une démocratie saine et forte comme le Canada.
Merci. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Allocution du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada
À l’occasion de la conférence de presse annuelle avec la Tribune de presse parlementaire
Ottawa (Ontario)
Le 17 juin 2021
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Vidéo archivée de la conférence de presse