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Conférence de presse annuelle avec la Tribune de la presse parlementaire


Allocution du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada

(La version prononcée fait foi)

Merci beaucoup. Bonjour à tous. Merci de vous joindre à moi aujourd’hui et je vous remercie de l’intérêt que vous portez à la Cour suprême du Canada et à notre système de justice. J’attends toujours avec impatience cette occasion de m’entretenir avec les médias et les journalistes, ici et en ligne – et bien entendu de répondre à vos questions.

Mes collègues et moi apprécions le travail que vous faites. En assurant la couverture de la Cour suprême, vous informez la population de ses travaux, de ses activités et du rôle crucial que joue la Cour dans la démocratie canadienne. Bon nombre d’entre vous mettent également en lumière des questions juridiques importantes, telles que le sous‑financement de l’aide juridique, le coût élevé des services juridiques, les arriérés des tribunaux, les délais d’audition et les postes de juge vacants.

Bien qu’il y ait eu quelques nominations à la magistrature fédérale ces dernières semaines, le nombre de vacances continue d’avoisiner les 80 sièges au Canada. Ces postes vacants ont une incidence importante sur l’administration de la justice. Lors d’une récente rencontre du Conseil canadien de la magistrature, une part importante des discussions a porté sur l’incidence de ces vacances sur les tribunaux et les juges canadiens. Certain tribunaux ont dû fonctionner pendant des années avec des taux de vacance de 10 à 15 %. Il n’est pas rare que certains postes restent vacants pendant de nombreux mois, voire des années dans certain cas. Les nominations à des postes clés tels que juge en chef et juge en chef adjoint se font également très lentement.

Ces postes vacants ont un impact considérable sur l’administration de la justice, le fonctionnement de nos tribunaux et l’accès à la justice pour le public. Ils exacerbent une situation déjà alarmante pour certains tribunaux qui font face à un manque criant de ressources humaines et financières. Ensemble, les juges en chef du Canada ont décidé de faire part de ces préoccupations au plus haut niveau du gouvernement.

En février 2018, certains d’entre vous se rappelleront que j’ai parlé publiquement de la nécessité de remanier le système des plaintes relatives à la conduite des juges. J’ai qualifié les procédures existantes de dépassées, lentes et obscures. J’ai également dit que « bien que les Canadiens s’attendent à la transparence et à la responsabilité, nous continuons d’appliquer des modèles d’administration judiciaire des années 70 ». Note de bas de page 1

Le Conseil canadien de la magistrature ne peut modifier ce processus lui-même. Seule la législature peut le faire.  J’ai donc été très encouragé en 2019 lorsque le gouvernement a commencé à réagir en discutant des réformes. Le projet de loi C-9 propose un processus transparent et efficace pour traiter les allégations relatives à l’inconduite des juges de nomination fédérale – un processus équitable à la fois pour les juges et pour les plaignants. Il y a eu beaucoup trop d’enquêtes publiques qui ont duré bien trop longtemps et qui ont coûté bien trop cher. Elles surchargent également nos tribunaux fédéraux, qui sont débordés. Les contribuables canadiens sont obligés d’assumer les coûts de ces enquêtes, y compris ceux encourus par le juge qui est visé. Malheureusement – et je peux en parler un peu plus tard – le projet de loi C-9 est toujours devant le Parlement.

Je ne doute pas que bon nombre d’entre vous voudront me poser des questions sur la décision de Russell Brown de se retirer de la Cour suprême. Je tiens à souligner que les allégations dont il était l’objet devant le Conseil canadien de la magistrature n’avaient aucun rapport avec son travail comme juge.

Le juge Brown était absent de la Cour depuis le 1er février, pendant que le Conseil canadien de la magistrature examinait une plainte déposée contre lui. Sur réception de la plainte, j’ai appelé le juge Brown et il a convenu avec moi que la seule solution était qu’il s’absente de la Cour jusqu’à ce que la plainte soit résolue. La Cour a confirmé son absence environ deux semaines plus tard, le 17 février. Comme vous le savez, bien que je préside le Conseil, je ne joue aucun rôle que ce soit dans le processus d’enquête.

La Cour suprême du Canada a continué à servir les Canadiens et les Canadiennes en rendant des décisions indépendantes et impartiales sur des questions d’importance pour le public. Tous les huit, nous avons entendu des affaires, rendu des jugements et statué sur des demandes d’autorisation d’appel. Pour ceux et celles d’entre vous qui ont posé des questions au sujet de la tenue d’audiences en formations de sept ou cinq juges, je peux vous assurer qu’il s’agit d’une pratique normale, prévue par la Loi sur la Cour suprême. Par exemple, au fil des ans, en 2012, la Cour a siégé à 48 reprises en formation de sept juges. Et, en 2019, elle a siégé à 12 occasions en formation de cinq juges et à 20 occasions en formation de sept juges.

Étant donné le départ du juge Brown, la Cour souhaite maintenant que le premier ministre agisse promptement, avec la diligence et la considération nécessaires, afin de nommer un nouveau juge ou une nouvelle juge à la Cour suprême du Canada.

J’aimerais parler maintenant du travail de la Cour suprême au cours de la dernière année. Selon moi, l’événement marquant a été son deuxième voyage à l’extérieur d’Ottawa pour entendre des causes et échanger avec le public. La visite à Québec en septembre a connu un franc succès. Des centaines de gens ont assisté à deux audiences sur des affaires ayant pris naissance dans cette province. Vous vous souviendrez du dossier sur la culture de plantes de cannabis à domicile, ainsi que celui sur les appareils de détection pour analyser les échantillons d’haleine d’une personne soupçonnée d’avoir conduit en était d’ébriété. Des décisions ont depuis été rendues dans ces affaires. La Cour a été l’hôte d’un événement public qui a attiré beaucoup de monde, et les juges ont visité des écoles secondaires de la région et à l’Université Laval.

Dans le cas de notre nouvelle collègue, la juge Michelle O’Bonsawin, les audiences à Québec se sont déroulées seulement 12 jours après son assermentation! Sa nomination a pris effet le 1er septembre, après le départ à la retraite de notre bon ami et collègue le juge Michael Moldaver. Je vous souligne depuis des années l’importance de la diversité au sein de la Cour suprême – et de tous les autres tribunaux. De plus en plus de Canadiens et de Canadiennes se reconnaissent dans la magistrature, situation qui ne peut que renforcer la confiance dans le système de justice.

La Cour va continuer d’entendre des causes dans différentes régions du pays. C’est l’une des nombreuses façons dont la Cour démontre son engagement envers la transparence, l’accessibilité et le principe de la publicité des débats. Récemment, j’ai été ravi d’entendre le juge en chef de la Nouvelle‑Écosse, l’honorable Michael Wood, annoncer que la Cour d’appel siégera à l’extérieur d’Halifax en 2024, et se rendra à Sydney! À l’étranger, la Cour de Cassation de France et le Conseil constitutionnel ont aussi commencé à se déplacer pour tenir des audiences et aller à la rencontre du public.

À Ottawa, la Cour suprême est maintenant rouverte au public. Personnellement, je suis toujours ravi de voir des membres du public et des journalistes présents dans la salle d’audience lorsque nous y entendons des causes. Les visites guidées ont également repris sensiblement au même rythme qu’avant la pandémie. En mai, par exemple, 6 000 personnes ont visité la Cour, ce qui dépasse notre total du mois d’août 2019. Pour ceux et celles d’entre vous qui se demandent quand le banc des juges reprendra sa configuration habituelle, sachez que mes collègues et moi serons de nouveau assis ensemble, sur une seule rangée, au début de notre session d’automne prochain.   

Plus tôt cette année, la Cour suprême a publié la cinquième édition de son rapport annuel intitulé Rétrospective annuelle. Il informe la population canadienne au sujet des travaux et des activités des juges et du personnel de la Cour. Il renferme également une multitude de statistiques utiles. La Cour a rendu 53 jugements en 2022, et 65 % de tous les appels concernaient des affaires criminelles. Si vous surveillez la fréquence à laquelle les juges de la Cour s’entendent tous sur une décision, sachez que 55 % de leurs décisions ont été unanimes en 2022, soit le niveau le plus élevé depuis 2016. Depuis le début de l’année 2023, neuf décisions sur seize ont été rendues à l’unanimité.

J’invite les personnes souhaitant obtenir les informations les plus récentes sur les travaux et les activités des juges à l’intérieur et à l’extérieur de la Cour à suivre celle‑ci sur les médias sociaux. Nous y partageons également des renseignements instructifs et historiques, en plus de tenter de répondre aux nouvelles questions qui nous sont posées, par exemple la fréquence à laquelle la Cour siège en formation de sept ou de cinq juges. Un graphique faisant état de cette information a d’ailleurs été publié le mois dernier.

Nous nous efforçons de faire de la Cour une institution ouverte et transparente, nous encourageons les autres tribunaux à faire de même et nous apprenons d’eux. Plus tôt ce printemps, j’ai eu la chance de rencontrer le personnel des communications de tribunaux de partout au Canada afin de discuter de mesures qu’ils peuvent prendre pour répondre aux besoins des journalistes et de la population.

Dans mon allocution, j’ai encouragé autant les juges que les spécialistes en communication à fournir au public des renseignements qui soient pertinents, rédigés en langage clair et faciles à trouver. Autrement dit, à adapter l’information au public qu’ils servent. L’un de mes exemples préférés à cet égard est la manière dont la Cour de justice du Nunavut émet ses gazouillis en anglais, en français et en inuktitut.

Je suis toujours heureux d’avoir l’occasion de rencontrer les diverses parties prenantes de notre système de justice – juges, juristes, société civile. Récemment, j’ai pris part à des activités de l’Association canadienne des juges des cours provinciales à Halifax, de l’Association du Barreau canadien à Charlottetown,  de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada à Ottawa, de l’Association des juristes d’expression française à Canmore en Alberta, d’Étudiant(e)s pro bono du Canada à Vancouver, de Juripop à Montréal, de la Clinique juridique en droit social de l’Outaouais et d’Avocats sans frontières – depuis les dernières semaines seulement. Je sais que mes collègues sont aussi très impliqués. Ces rencontres nous permettent de mieux connaître les initiatives inspirantes et les préoccupations des divers intervenants sur le terrain, d’échanger et d’alimenter nos propres réflexions.

J’aimerais maintenant vous communiquer les informations les plus récentes concernant le Comité d’action sur l’administration des tribunaux. Il s’agit du groupe que je codirige avec le ministre de la Justice David Lametti. Nous avons mis sur pied ce comité au début de la pandémie pour trouver des moyens de garder les tribunaux ouverts. Récemment, nos membres ont décidé de poursuivre leurs travaux au moins jusqu’à l’automne 2024. Nous avons également mis à jour le mandat du groupe et les principes‑clés sur lesquels il repose. L’un des nouveaux principes‑clés a trait à la réconciliation avec les peuples autochtones, et à la nécessité d’agir pour éliminer les obstacles institutionnels qui limitent l’accès à la justice. J’ai hâte de voir l’évolution de ces travaux au cours des 18 prochains mois. Je vous invite à consulter le site Web du Commissariat à la magistrature fédérale Canada pour en apprendre davantage.

En tant que président de l’Institut national de la magistrature, je peux vous affirmer que l’Institut continue de relever les défis de notre époque en offrant des formations de calibre international qui portent autant sur le droit substantiel que sur les habiletés professionnelles et le contexte social. Voilà pourquoi les juges canadiens sont les juges les mieux formés dans le monde.

L’année dernière, l’Institut a offert 79 programmes dans les diverses régions du Canada, pour un total de 211 jours de formation – soit 30 de plus que la moyenne pré-pandémique. Parmi les événements marquants de ces nouveaux programmes de formation en présentiel, mentionnons un colloque portant sur le droit autochtone tenu sur le territoire de la Première Nation Whitecap Dakota à l’extérieur de Saskatoon; ainsi qu’un cours en droit de la famille intitulé « Juger dès vos cinq premières années ». En partenariat avec le Conseil canadien de la magistrature, l’Institut ouvre également davantage de places de formation pour les juges provinciaux et les juges territoriaux. Et comme certains d’entre vous le savent déjà, l’Institut continue d’offrir de la formation aux juges et administrateurs de tribunaux de partout dans le monde. Investir dans la formation des juges favorise une culture d’excellence judiciaire.

Mon travail comporte également un volet international. En qualité de juge en chef du Canada, j’accueille des délégations étrangères d’autres tribunaux et je participe à des échanges entre juges. Ce sont des expériences précieuses pour moi et mes collègues. Il y a très peu d’occasions de s’asseoir avec nos homologues internationaux et d’entendre parler des réalités de leurs tribunaux et de leurs communautés, et de la façon dont ils traitent les questions juridiques émergentes.

Au cours de la dernière année, nous avons notamment eu des échanges avec les Cours suprêmes de l’Irlande et d’Israël, et participé au Colloque judiciaire Asie-Pacifique en Nouvelle-Zélande. J’ai aussi eu des rencontres virtuelles avec mes homologues du Japon et de l’Afrique du sud. Nos conversations ont porté notamment sur le droit comparé, la modernisation des tribunaux, l’indépendance judiciaire et la désinformation. Je prends également chaque année la parole devant un groupe de hauts‑commissaires et d’ambassadeurs nouvellement nommés au Canada, que nous accueillons à la Cour pour leur expliquer son rôle au sein de notre système démocratique.

Un sujet sur lequel je reviens constamment est celui du déclin de l’indépendance judiciaire dans de nombreuses régions du monde. Je rappelle que ce principe n’existe pas pour les juges, mais ultimement, pour le public. Il est essentiel pour faire en sorte que les juges puissent trancher les questions de droit qui leur sont soumises sur la base des faits et du droit, à l’abri d’ingérences et d’influences indues. Même au Canada, il y a de la désinformation sur notre système juridique. Cela n’est pas toujours bien compris.

Lorsqu’elle a reçu le prix Nobel en 2021, la journaliste philippine Maria Ressa a dit : « Sans connaître les faits, on ne peut connaître la vérité. Sans la vérité, la confiance ne peut exister. Et sans la confiance, il n’y a pas de réalité commune, ni de démocratie, et il devient impossible de faire face aux problèmes existentiels du monde : le climat, le coronavirus, la bataille pour la vérité » Note de bas de page 2

Tout comme il ne saurait y avoir de démocratie sans une presse libre et indépendante, il ne peut exister de démocratie sans une magistrature indépendante. Ce sont là des principes que nous devons toutes et tous défendre – qu’il s’agisse des journalistes, des politiciens, des juges, des avocats ou des citoyens.

Merci de votre attention. Je suis prêt à prendre quelques-unes de vos questions.

Lien connexe

Vidéo archivée de la conférence de presse


Notes de bas de page

Note de bas de page 1

New chief justice says system for dealing with complaints against judges needs work, Presse canadienne, 5 février 2018

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Note de bas de page 2

Maria Ressa’s Nobel Lecture, the Nobel Foundation, Stockholm, 2021.

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Date de modification : 2024-12-20