La Cause en bref
Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.
Groia c. Barreau du Haut-Canada
Informations supplémentaires
- Voir le texte intégral de la décision
- Date : 1 juin 2018
- Citation neutre : 2018 CSC 27
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel de l’Ontario
- Renseignement sur le dossier (37112)
- Diffusion Web de l'audience (37112)
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Décisions des tribunaux inférieurs :
- Cour d’appel de l’Ontario (jugement en appel) (en anglais seulement)
- Cour supérieure de justice de l’Ontario – Cour divisionnaire (jugement en appel) (en anglais seulement)
- Comité d’appel du Barreau du Haut-Canada (décision en appel) (en anglais seulement)
- Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada (décision et détermination de la peine) (en anglais seulement)
Sommaire de la Cause
La Cour suprême a jugé que l’incivilité d’un avocat en salle d’audience peut ne pas constituer un manquement professionnel si elle est fondée sur une mauvaise interprétation du droit. Toutes les circonstances doivent être prises en considération.
Joseph Groia était l’avocat de John Felderhof, dirigeant de la société minière Bre-X, accusé de délit d’initié et d’autres crimes. Le procès a été tendu et marqué par des attaques personnelles et des remarques sarcastiques. Durant la première phase du procès, M. Groia croyait que les avocats de la poursuite ne se comportaient pas correctement. Il les a accusés — à répétition et dans des termes injurieux — d’abus de procédure. En fait, M. Groia avait tort sur le plan du droit, mais le juge ne lui a pas signalé son erreur.
Les avocats doivent respecter un grand nombre de règles de déontologie. En Ontario, celles-ci sont appliquées par le Barreau de l’Ontario (anciennement appelé le Barreau du Haut-Canada). L’obligation de pratiquer le droit en faisant preuve de « civilité » n’est qu’une de ces règles, et ne constitue pas un enjeu exclusivement de politesse. En effet, les attaques personnelles affaiblissent le système de justice et détournent l’attention du litige qui oppose les parties en plus de compliquer le travail des avocats dans la recherche commune de solutions. Le Barreau peut accuser de manquement professionnel les avocats qui font preuve d’incivilité.
Le Barreau a déclenché une enquête sur M. Groia en 2004 relativement à son attitude envers les avocats de la poursuite, et ce, même si aucune plainte n’avait été formulée contre lui. Il a été accusé de manquement professionnel en 2009 et, en 2012, déclaré coupable par le Comité d’audition. En 2013, le Comité d’appel du Barreau a confirmé cette décision. Le droit d’exercice de M. Groia a été suspendu pour une période d’un mois et il a été condamné à payer 200 000 $ à titre de dépens. En désaccord avec cette décision, M. Groia en a demandé la révision judiciaire. La Cour divisionnaire et la Cour d’appel ont toutes deux confirmé la décision du Comité d’appel du Barreau.
Le juge Michael Moldaver, au nom de ses collègues majoritaires de la Cour suprême, a donné raison à M. Groia. À son avis, la décision du Barreau était déraisonnable. En effet, selon lui, M. Groia était raisonnablement fondé à accuser les avocats de la poursuite de conduite répréhensible, même si les allégations découlaient de sa mauvaise compréhension du droit. La conduite des avocats de la poursuite, la décision du juge de ne pas relever la méprise de M. Groia et l’incertitude en droit quant à la façon dont il faut soulever la question de l’abus de procédure sont tous des facteurs qui l’ont incité à agir comme il l’a fait. Le juge Moldaver craint que, si elle devait être confirmée, la décision du Barreau n’incite les avocats à y penser à deux fois avant de défendre leurs clients avec vigueur, de peur d’être accusés de manquement professionnel. De plus, selon lui, le Barreau doit être particulièrement attentif aux décisions du juge du procès qui, contrairement à lui, a pu observer en personne le comportement de M. Groia. Quatre juges sont du même avis que le juge Moldaver.
La juge Suzanne Côté a convenu avec le juge Moldaver que le Barreau a eu tort de punir M. Groia. Toutefois, contrairement aux juges majoritaires, elle a estimé que les cours ne devraient pas simplement accepter la décision disciplinaire d’un Barreau quant au comportement d’un avocat en salle d’audience. Selon elle, laisser ainsi un Barreau réexaminer un tel comportement soulève des préoccupations quant au rôle et à l’indépendance des juges.
Les juges Karakatsanis, Gascon et Rowe ont exprimé leur désaccord avec la façon dont le juge Moldaver estime qu’il faut contrôler la décision du Barreau ainsi qu’avec l’issue de l’affaire. Pour eux, le Barreau avait le droit de trouver M. Groia coupable de manquement professionnel. Ce dernier avait perturbé le procès et accusé injustement de malhonnêteté les avocats de la partie adverse. Pour les juges minoritaires, la décision du Barreau, selon laquelle les erreurs de M. Groia quant à l’interprétation des règles de droit applicables ne pouvaient excuser son mauvais comportement, était raisonnable.
Les avocats ont l’obligation professionnelle à la fois de défendre vigoureusement leurs clients et d’agir avec civilité durant un procès. Dans ce dossier-ci, il s’agissait de déterminer quand la défense énergique des intérêts d’un client en salle d’audience franchit la ligne de l’incivilité et quand l’incivilité équivaut à un manquement professionnel. La Cour suprême a décidé que ceux qui sont appelés à prendre des décisions devraient examiner l’ensemble de la situation lorsqu’ils doivent déterminer si un avocat a dépassé les bornes.