La Cause en bref
Les Causes en bref sont des courts résumés en langage simple des décisions rendues par écrit par la Cour. Ils sont préparés par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada. Ils ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et ils ne doivent pas être utilisés lors d’une procédure judiciaire.
R. c. Cyr-Langlois
Informations supplémentaires
- Voir le texte intégral de la décision
- Jugement rendu : 17 octobre 2018
- Motifs écrits publiés : 6 décembre 2018
- Citation neutre : 2018 CSC 54
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Décompte de la décision :
- Majorité : le juge en chef Richard Wagner a accueilli l’appel (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Brown, Rowe et Martin)
- Dissidence : la juge Suzanne Côté a affirmé que le fait que la procédure n’a pas été suivie soulevait un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats, et aurait rejeté l’appel
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37760)
- Diffusion Web de l'audience (37760)
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Décisions des tribunaux inférieurs :
- Jugement (Cour du Québec) (non publié)
- Appel (Cour supérieure du Québec)
- Appel (Cour d’appel du Québec)
Sommaire de la Cause
La Cour suprême a confirmé que, dans une cause criminelle, le doute « raisonnable » doit être fondé sur la preuve et non sur des conjectures.
En 2012, M. Cyr-Langlois a été intercepté parce qu’il était soupçonné de conduite avec les facultés affaiblies. Il a été emmené au poste de police où son alcoolémie a été testée au moyen d’un alcootest. Conformément à la procédure habituelle, deux échantillons d’haleine ont été prélevés à 20 minutes d’intervalle. Le policier qui s’est acquitté de cette tâche n’est pas resté dans la salle avec M. Cyr-Langlois pour l’observer avant chaque prélèvement. C’est un autre agent qui l’a fait. Les deux échantillons ont donné des résultats d’alcoolémie supérieure à la limite permise. M. Cyr-Langlois a été accusé de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool et de conduite alors que son alcoolémie dépassait 80 mg d’alcool par 100 ml de sang. L’appel concerne ce deuxième chef d’accusation.
Lorsque la Couronne (la poursuite) accuse quelqu’un d’un crime, elle a le fardeau de prouver que cette personne a commis le crime hors de tout « doute raisonnable ». C’est une norme très élevée, qui ne correspond toutefois pas à une certitude absolue (en droit, comme dans la vie, très peu de choses peuvent être prouvées avec 100 % de certitude). Si un juge ou un jury pense qu’un accusé est « probablement » coupable, ils doivent le déclarer non coupable. Une « probabilité » ne suffit pas. Par contre, si un doute est purement théorique ou imaginaire, et n’est pas fondé sur la preuve, il ne s’agit pas d’un doute « raisonnable ». Il importe d’appliquer cette norme élevée, parce que tout le monde — même les policiers, les avocats et les juges — peut commettre des erreurs. Le risque que de telles erreurs soient commises est toutefois moins élevé lorsqu’il est satisfait à cette norme élevée.
Dans une cause pour conduite avec facultés affaiblies, le principal élément de preuve présenté contre l’accusé est habituellement le résultat de l’alcootest. On tient pour acquis qu’un test de ce type est fiable (c.-à-d. qu’il prouve hors de tout doute raisonnable que les facultés étaient affaiblies), à moins que l’accusé puisse démontrer qu’il ne l’est pas. Il faudrait qu’il prouve que l’appareil a possiblement mal fonctionné ou a été utilisé incorrectement, et que cela a pu avoir une incidence sur la fiabilité des résultats. Cela soulèverait un doute raisonnable. Dans de telles circonstances, à moins que la Couronne ne présente d’autres éléments de preuve, la personne devrait être déclarée non coupable.
M. Cyr-Langlois n’a pas plaidé que l’alcootest ne fonctionnait pas. Il a affirmé que le policier ne l’a pas utilisé correctement, parce qu’il n’a pas suivi la procédure à la lettre. Selon lui, le policier devait attendre et observer la personne soupçonnée d’ivresse durant 20 minutes, prélever un échantillon, attendre 20 minutes et prélever un second échantillon. L’agent est censé observer la personne pour s’assurer que rien qui soit susceptible d’avoir une incidence sur le résultat ne survient pendant cette période. Par exemple, éructer ou vomir peut entraîner la présence de traces d’alcool, provenant directement de l’estomac, dans la bouche, ce qui pourrait changer le résultat. M. Cyr-Langlois a affirmé que le policier qui a prélevé les échantillons a quitté la salle. Il ignorait si son collègue avait observé M. Cyr-Langlois sans interruption. Ainsi, selon M. Cyr‑Langlois, la procédure n’a pas été suivie, de sorte qu’il n’est pas possible de se fier au résultat obtenu. Il est d’avis qu’il devrait être déclaré non coupable.
Le juge des poursuites sommaires a souscrit à la thèse de M. Cyr-Langlois et l’a déclaré non coupable. La Couronne a interjeté appel devant la Cour supérieure, qui a annulé le verdict de non-culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès. La Cour d’appel a statué en faveur de M. Cyr-Langlois, affirmant que le verdict de non-culpabilité devrait être maintenu.
Les juges majoritaires de la Cour suprême ont annulé le verdict de non-culpabilité et déclaré que l’accusé devrait subir un nouveau procès. Les arguments présentés par M. Cyr-Langlois ne constituaient que de la conjecture et ne soulevaient pas un doute raisonnable. Il n’a pas suggéré qu’il s’était produit quelque chose avant les deux prélèvements qui aurait pu affaiblir la fiabilité des résultats, comme un problème digestif. Il a plaidé qu’il suffisait qu’un policier ne l’ait possiblement pas observé sans interruption et que théoriquement quelque chose ait pu lui échapper. Pour soulever un doute raisonnable, il devait présenter la preuve concrète du fait que l’utilisation incorrecte de l’alcootest a pu avoir une incidence sur les résultats et leur faire perdre leur fiabilité. Par exemple, il aurait pu déclarer qu’il avait éructé avant que les échantillons soient prélevés. Il n’a pas témoigné; dans les circonstances, qu’un policier l’ait ou non observé sans interruption n’a aucune importance.
La décision a été rendue à l’audience le 17 octobre 2018. La Cour a publié ses motifs écrits le 6 décembre 2018. La Cour a aussi rendu deux autres décisions relatives aux alcootests quelque six semaines plus tôt : R. c. Gubbins et R. c. Awashish.